ANZAR le site de Slimane Azayri

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Si Diable veut, roman de Mohamed Dib. le Diable a-t-il définitivement triomphé des hommes ?

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Si Diable veut, roman de Mohammed Dib, éditions Dahlab (Alger), 230 pages, année 2009.

 

Ce roman est un voyage à l'intérieur de quelques unes des pires menaces auxquelles nous sommes ou croyons être exposés.  Ces menaces, nous en avons une peur tellement intense que le commun des mortels arrive rarement à en parler et,  lorsqu'ils y arrivent, c'est juste pour rappeler leur survenance possible.  Ces menaces et les peurs qu'elles induisent sont profondément ancrées dans l'esprit des habitants des terroirs algériens et maghrébins. Et certainement ailleurs que dans nos pays afro-méditerranéens  avec, sans doute, un autre habillage symbolique.

 Il faut dire que la géographie humaine intéresse accessoirement Mohammed Dib. Ses personnages et leurs décors peuvent être situés dans n'importe quelle région du Maghreb. Seules des données de géographie naturelle, tel  le  figuier, permettent de situer le cadre de l'histoire dans l'extrémité nord des pays maghrébins.

En fin connaisseur de la culture orale du pays profond, Mohammed Dib nous en expose magistralement les moindres détails par le biais des monologues de ses personnages, surtout des deux sages, Hadj Merzoug et Lalla Djawhara, mari et femme,  à la fois pénétrés des vérités des êtres et des choses de notre monde visible et réceptifs aux sens des manifestations  du monde invisible, souvent menaçantes et terrifiantes. Cette culture orale, fortement imprégnée de fantastique et d'ésotérisme, résultat d'un mélange syncrétique de croyances religieuses et de mythes païens, l'auteur nous la présente dans un style emprunté à la musique et à la structure des parlers maghrébins. Ce qui donne miraculeusement à la langue française un habillage adapté aux caractères intrinsèques de l'oralité berbéro-arabe.

Les menaces et les peurs collectives qui remontent du fond de notre inconscient sont, dans le cas du roman « Si Diable veut », la sécheresse, d'une part,  et les chiens retournés à l'état sauvage, d'autre part. L'auteur situe les deux menaces au même moment et  même  endroit. Certainement pour donner à l'intrigue une plus grande intensité dramatique. Et plus encore, pour montrer l'état de déstructuration d'une société traditionnelle attaquée d'un côté par une nature « révoltée »  représentée par les chiens retournés à l'état sauvage revenu comme pour régler leur compte à la communauté égarée de Tadart  (village en langue tamazight) et de l'autre  la culture occidentale à prétention universelle rendue indifférente par sa toute puissance au devenir des cultures locales.

L'apparition simultanée des deux menaces n'est pas à notre sens le pur fruit des hasards de la création romanesque. Cette conjugaison des périls sert à situer exactement la position de la communauté de Tadart coincée qu'elle est entre deux cultures et, donc, deux visions du monde : la culture locale qui a longtemps servi à entretenir l'équilibre entre la nature et les hommes  mais qui devient inopérante face aux avancées de la culture impériale, à vocation dominatrice et des hommes et de la nature. Désarmée face à cette coalition  de facteurs défavorables, la communauté de  Tadart imagine des solutions  qui s'avèrent n'être que des palliatifs :

- Dans l'espoir de mettre fin à la sécheresse, faire exécuter à l'intérieur du sanctuaire du saint de Tadart, Sidi Afalku, le sacrifice par égorgement au couteau tourterelles par Ymran, le jeune adolescent émigré de retour au pays mais complètement intégré au mode de vie européen. Malgré la présence de Safia, la rousse adolescente devenue Tawkilt (être invisible), chargée de l'assister, Ymran refusera de se plier à ce rite « barbare ».

- Tenter, à l'initiative de Hadj Merzoug, moudjahid de la guerre de libération nationale, d'éloigner temporairement les meutes de chiens sauvages en tuant une partie lors d'une attaque des hommes  de Tadart en possession d'armes à feu.

 

Mohammed Dib veut-il nous signifier que le Diable a définitivement triomphé des hommes ?

 

Extraits choisis de « Si Diable veut »

 

Hadj Merzoug

Il en est passé du temps et Hadj Merzoug toujours : protégé par ma djellaba de laine brute, face à la porte ouverte, je me borne à regarder. J'y passe des heures. Elles ne me servent à rien, ces heures. Elles n'ont qu'à passer. J'ai couru après la vie et maintenant je ne cours plus. Elle m'a malmené la vie … autant qu'elle sait le faire. Je l'ai malmenée à mon touret j'ai gagné, si avec elle on croit avoir gagné à un moment ou un autre.

(Extrait des pages 07 et 08)

 

Yéma Djawhar

Yéma Djawhar dit : je vais, je trotte que je trotte, de-ci de-là, et ainsi de toute la journée, depuis tôt le matin. Il me semble n'avoir jamais fait autre chose. Sinon quoi : rester assise, les jambes croisées ? Abandonner la maison à elle-même ? De-ci de-là.

(Extrait de la page 09)

 

Ymran

Les raisons qui ont déterminé Ymran à revenir relèvent de ces raisons du cœur qui ne se disent pas. Il n'a pu les confier qu'au champ d'orge naissante, qu'à la haute solitude des alpages où, sitôt arrivé, il s'est jeté à corps perdu. Ses yeux, dès sa prime enfance, ne s'étaient ouverts que sur la détresse, la déréliction d'une banlieue où, en même temps que d'autres familles d'immigrés, la sienne avait échoué. Avec ses tours délabrées du haut desquelles ne se voient que des tours semblables, un univers maudit. Là, il a grandi, lui, mais ni la détresse ni la déréliction n'ont changé. Le pays d'accueil n'avait à leur offrir que cela.

(Extrait de la page 49)

 

La promesse

- Retourne au pays, mon garçon, avait-elle pris sur elle de dire.

Et il avait promis :

-Oui, mère.

- Cherches notre maison. Les voisins te la montreront. Et salues-la, même si elle n'est plus à nous.

- Oui, mère.

- Cherches  ensuite la fontaine, et salues-la aussi. Elle se souviendra de moi.

- Je la chercherai, mère.

- Va visiter nos champs et dis à leurs figuiers et à tous les arbres que tu viens de  la part de Zahra, qu'ils ont bien connue, tu me le promets ?

- Oui, mère. Je te le promets.

- Portes -leur aussi mon salut.

(…)

- N'oublie pas te faire monter ensuite le sanctuaire du saint protecteur Afalku. Embrasses-en la porte, dis que c'est pour moi que tu le fais et qu'il ne m'en veuille pas, si je l'honore de loin seulement, Dieu m'a vaincue.

- Je n'oublierai pas, mère.

- A toutes et à tous de chez nous, apprends-leur que ma dernière pensée a volé vers eux. Qu'eux aussi me pardonnent de les avoir quittés : c'était par ordre du Ciel : je n'ai rien renié. Promets-moi.

- Je promets, dit Ymran.

Et il pensa : « Elle sait. Elle va mourir dans quelques instants et elle le sait. »

- Pour l'amour de Dieu et de moi, fils.

- Oui, mère. 

(Extrait des pages 62-63)

 

Safia, tawkilt

Ymran, au bord de la transe, dit : Une fille ? On n'aurait pas imaginé une tawkilt sous d'autres traits. On ne l'aurait pas supposée moins jeune, moins effarée, moins rousse, moins jolie, les cheveux moins ébouriffés ; le moins qu'on puisse espérer trouver chez une tawkilt.

Et il n'a aucun mal à reconnaître en elle, Safia, une fille de Tadart.

(Extrait de la page 75)



29/11/2011
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