Les rêves éveillés de Baouz (4) – La vieille maison familiale
« - D’où est-ce qu’il tient mes souvenirs d’enfance ? » ne cessait de se demander Baouz.
« - C’est non visiblement une force surnaturelle capable d’explorer la mémoire des gens dans ses recoins les plus obscurs. Je sens que cette force me cherche, moi…ou plus exactement, elle m’appelle. Et depuis le début de ces événements extraordinaires, je crains que la force invisible qui en est l’auteur ne soit en moi comme un virus dont je ne connaîtrais ni les causes, ni les effets, ni, a fortiori, le remède mais seulement les symptômes. Quelle peur j’ai eu de moi-même ! A présent, je suis presque sûr de ne pas en être l’origine. Quel soulagement pour moi ! »
Pendant qu’il se parlait à lui –même presque sans interruption, Baouz rejoignait son domicile presque en courant sans savoir pourquoi. Une fois dans l’appartement, il se mit à refaire machinalement les gestes habituels : enlever sa veste, ôter ses chaussures, mettre son pyjama et ses pantoufles et se laver les mains et le visage. Une pomme dans une main, un journal dans l’autre il alla s’asseoir confortablement. Soudain, il fut aspiré dans une sorte d’ouverture (un vortex) et transporté instantanément cent cinquante kilomètres plus loin dans la cour de la vieille maison familiale située en plein milieu du Djurdjura. Abandonnée depuis des décennies, rongée par les intempéries, la maison tombait inexorablement en ruines. Il éprouvait une peine profonde en voyant défiler devant ses yeux la dernière génération, celle de ses grands parents, qui y avait vécue et finie ses jours.
Une voix venant de la porte d’entrée de la maison le fit sursauter :
« - Qui est là ! » cria-t-elle.
Baouz se retourna et reconnut Amar, le seul cousin resté au village, depuis longtemps chasseur de tout et de presque rien, il avait toujours son fusil à double canon superposé qu’il pointait dans sa direction.
« - C’est moi » lui répondit-il en riant.
Ils se regardèrent un moment, Amar avec son veston en cuir noir, son pantalon de grosse toile, ses rangers et son béret basque, et Baouz, avec son pyjama bleu pâle, ses pantoufles marron clair, une pomme à demi entamée et un journal froissé entre les mains.
« - Sais – tu que tu as échappé de très peu à un tir de chevrotines dans le bas du dos ? » dit Amar. Sa voix laissait transparaître la joie de revoir Baouz.
A la joie évidente de le revoir succéda très vite l’étonnement.
« - Dis-moi, comment es-tu entré dans notre vieille maison ? N’es-tu pas fou de te promener en pantoufles et pyjama ? » Le questionna Amar.
« - Je ne veux pas te raconter des histoires. En vérité, je ne sais pas comment je suis arrivé ici. Il y a quelques minutes à peine, j’étais à cent cinquante kilomètres de distance. Quant aux pantoufles et au pyjama, il se trouve que je les portais à cette minute là ».
Voyant à sa mine incrédule que ses propos passeraient dans le meilleur des cas pour un conte des mille et une nuits ou susciteraient dans le pire des cas des inquiétudes sur son état de santé mentale, il renonça à toute idée de le convaincre de ce qui arrivait et décida de passer à un sujet plus banale:
« - J’arrête les plaisanteries et je passe aux choses sérieuses : s’il te plait, prêtes moi des habits et des chaussures. J’en ai besoin maintenant»
Amar sortit sans dire un mot.
En attendant le retour d’Amar, Baouz visita le côté jardin de la maison familial. Il constata que le grenadier et le noyer étaient toujours là ; par contre, le rosier avait malheureusement disparu. En faisant demi-tour, il vit cependant à sa gauche un jeune rosier planté face à un mur. Il s’en approcha et vit une rose rouge sombre à peine éclose qui dégageait un parfum semblable à celui gardé en mémoire depuis sa lointaine enfance.
Amar réapparut, un sachet à la main. Après avoir endossé ses habits d’emprunt – chemise bleue à carreaux au col déchiré, salopette tâchée de peinture et pataugas aux semelles usées – Baouz dit d’un air décidé à Amar comme s’il s’adressait à une section de fantassins:
« - Suis-moi ! Nous descendons ! »
Durant une quarantaine de minutes, ils dévalèrent trois kilomètres environ de piste caillouteuse et descendirent quelques centaines de mètres plus bas du millier de mètres d’altitude de leur point de départ. A l’endroit où la piste s’élargit et la pente s’adoucit, ils arrivèrent à la hauteur d’une grande roche granitique d’une dizaine de mètres de hauteur.
« - C’est là » criai Baouz, sans savoir ce que qu’il voulait dire vraiment.
Il se retourna vers Amar et dit avec un sourire ponctué d’un clin d’œil:
« - Attends-moi ici. Ton fusil risque d’effaroucher les créatures qui hantent ce lieu. »
Baouz continua à marcher jusqu’à la grande roche de granit à la base de laquelle jaillit depuis des temps lointains une eau captée dans trois bassins de forme arrondie que l’on aurait crus sculptés par la nature tellement la main humaine y paraissait étrangère.
« - C’est la fontaine du frêne » se dit-il à lui-même.
Si la fontaine existe bien, le frêne, par contre, n’a jamais été vu par quelqu’un.
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